"Braderie" des monuments historiques

Publié le par Alternatifs06 pays de Grasse

Les élus locaux conviés à la "braderie" des monuments historiques

    Le projet du gouvernement est succinct. Surtout, il fait tomber les barrières prévues dans la loi de 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Impulsé par l'ancien ministre de la culture Jean-Jacques Aillagon, l'article 97 de cette loi encadrait les modalités de transfert des monuments historiques, en s'inspirant des travaux menés en 2003 par une commission présidée par René Rémond, président de la Fondation nationale des sciences politiques. Cette commission avait dressé une liste de 176 monuments historiques transférables. En revanche, il était prévu que des grands lieux de la mémoire nationale - parmi lesquels figurait le domaine de Saint-Cloud - restent dans le giron de l'Etat. L'opération a eu un succès mitigé : sur les 176 monuments proposés, 66 ont été transférés dont 11 relevant du Centre des monuments nationaux : château du Haut-Koenigsbourg, dolmen du Haut-Peyrelevade, chapelle des Carmélites à Toulouse, etc.

    Il est vrai que la loi de 2004 imposait quelques contraintes : outre que la liste des monuments était fixée par décret, l'opération était limitée à un an après la parution du décret mentionnant les monuments transférables et les bâtiments devaient être cédés dans leur ensemble. L'article 52 de la loi de finances lâche du lest et lance "un appel généralisé et sans limite temporelle au volontariat des collectivités territoriales", lit-on dans l'exposé des motifs. Tous les monuments appartenant à l'Etat ou à ses établissements publics sont concernés, et le transfert pourra porter sur "tout ou partie des immeubles".

    Quant au ministère de la culture, pourtant chargé des monuments historiques, il n'a pas son mot à dire : c'est le représentant de l'Etat - le préfet - qui "désigne la collectivité ou le groupement de collectivités bénéficiaires du transfert en fonction des projets présentés. (...) Il peut décider de ne désigner aucun bénéficiaire au vu de l'importance qui s'attache au maintien du bien concerné dans le patrimoine de l'Etat".

    A gauche comme à droite, la réforme fait l'objet de vives critiques. Lors des débats à l'Assemblée, le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, Marcel Rogemont (PS), a réclamé, en vain, la suppression de cet "article félon". Le rapporteur spécial de la commission des finances, Nicolas Perruchot (Nouveau Centre), a estimé qu'"en l'état, la réforme proposée n'est pas satisfaisante". "Il est légitime de se demander si le représentant de l'Etat jugera seul de l'importance du bien concerné. Si aucun avis ni même aucune consultation des services compétents du ministère de la culture et de la communication n'est requis, on crée un risque quant à la préservation du patrimoine national et quant à la cohérence de la politique attachée à celui-ci sur notre territoire", s'est-il inquiété. Enfin, tout le patrimoine doit-il être transférable, s'interroge M. Perruchot, qui suggère d'établir "une liste négative" de monuments non transférables, citant l'Arc de triomphe, les Invalides, ou encore le château de Versailles.

    La présidente UMP de la commission des affaires culturelles, Michèle Tabarot, a plaidé pour que toute opération de transfert soit soumise à "l'avis conforme" du ministre de la culture. Sans succès. "On veut visiblement dessaisir la Rue de Valois de ce dossier", analyse aujourd'hui M. Rogemont.

    Des questions restent sans réponse.

    Une collectivité locale ayant repris un monument de l'Etat, puis se trouvant dans l'incapacité de l'entretenir, pourra-t-elle le céder à un acheteur privé ? Sollicité par Le Monde, le cabinet du ministre de la culture n'a pas jugé utile d'apporter des précisions. Interpellé lors de son audition devant les députés de la commission des affaires culturelles, le 3 novembre, Frédéric Mitterrand s'était dit "tout à fait favorable" à la réforme en cours, avant d'ajouter : "Il faudra néanmoins garder à l'esprit la nécessité de conserver une présence directe de l'Etat sur tout le territoire ainsi que la cohérence de la politique culturelle générale." Il n'est pas sûr que l'article 52, dans sa version actuelle, réponde à ces objectifs.

Clarisse Fabre
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article